6 février : Témoin d’espérance auprès d’enfants porteurs de handicap
Je m’appelle Murielle Cuvelier, je suis institutrice primaire à l’école d’enseignement spécialisée de Musson depuis 21 ans. Le handicap des enfants est classé en type qui sont au nombre de 8. Nous accueillons chaque année en moyenne 120 enfants de 3 à 13 ans. Nous accueillons principalement des enfants de type 3 (troubles du comportement), type 1 et 2 (déficience mentale légère ou sévère) et type 4 (déficience motrice). Lorsque j’ai fait mes études d’institutrice je ne m’attendais pas à avoir une carrière comme celle-là. Car pour beaucoup de monde être institutrice c’est être la personne qui enseigne un savoir, qui est là pour apprendre des choses et de la matière. Je me voyais donc devant une classe de 20 jolies petites têtes blondes occupée à déballer tout ce que l’on m’avait appris et tout ce que je connaissais. Et en fait ce n’est pas du tout ce qui s’est passé mais c’est tellement plus que cela dans l’enseignement spécialisé. Attention nous réalisons de nombreux apprentissages comme dans l’enseignement traditionnel mais à côté nous faisons beaucoup d’autres choses. Comme je l’explique aux jeunes qui viennent en stage chez nous, nous sommes instituteur environ 30% du temps sur une journée, nous sommes également éducatrices, infirmières, confidentes, mamans, punchingballs, etc…nous avons de nombreux rôles sur la journée, et c’est cela qui me plait dans ce type d’enseignement. Nous avons des groupes classes plus petits, entre 6 et 13 élèves, cela nous permet d’être proche et à l’écoute de chacun. Notre apprentissage est dit différencié c’est-à-dire qu’il tient compte de chaque enfant, de ses faiblesses mais aussi de ses capacités et ses talents. Nous essayons toujours de chercher le positif qui se trouve en eux car il y en a toujours.
Malgré cela tout n’est pas idyllique dans notre métier, comme je le disais nous sommes souvent un punchingball, la violence et les coups sont quotidiens chez nous. La colère que certains enfants ont en eux ressort de la seule manière qu’ils connaissent. Mais bien souvent cette violence est extériorisée contre nous, contre la personne qui est à un instant T face à lui que ce soit un autre enfant ou un adulte, mais elle est intériorisée vis-à-vis de quelqu’un d’autre. Ils viennent après la crise souvent s’excuser en disant « tu sais ce n’est pas toi que je voulais frapper parce que toi je t’aime » et là tout est oublié.
Nous abordons les enfants de façon différente ; le plus important dès le départ est de créer un climat de confiance avec l’enfant et sa famille. Nous travaillons en collaboration avec la famille lorsque celle-ci est présente bien sûr. La plupart de nos élèves sont en internat la semaine avec un retour le week-end. Ils peuvent être aussi en institut médico pédagogique sans aucun contact avec les parents ou la famille ; ou alors rarement. Nous sommes donc dans ce cas-là les référents principaux de la journée.
Au fil des années je vous avoue que je me rends compte que j’en apprends autant que les enfants. J’ai appris à leur contact la patience, l’empathie, l’écoute, la résilience, l’humour, et de nombreuses autres qualités requises.
Cela a très souvent remit ma foi en cause aussi. Lorsque vous côtoyez un enfant qui se trouve en fauteuil roulant, qui est donc privé de certains de ses mouvements, qui a des difficultés de langage et à qui un jour on diagnostique une maladie grave. La question qui nous vient est : pourquoi lui ? Pourquoi est-ce qu’il doit encore subir cela ? Pourquoi est-ce que Dieu lui inflige encore cela ? Car c’est souvent plus facile à accepter lorsque l’on trouve un coupable. Mais c’est souvent au contact de la famille et de l’enfant lui-même que nous sommes rassuré. Ils sont d’une combativité incroyable, ils font face à toutes les épreuves que la vie a mises sur leurs chemins. Ils ont une telle force en eux qui est admirable à voir.
Lorsque j’ai commencé j’étais moi-même maman de 2 petits garçons de 3 et 5 ans. Je suis donc arrivée avec toute l’assurance d’une jeune institutrice après ses études et j’avais l’espoir de faire des miracles, j’étais certaine de pouvoir répondre à toutes les interrogations. Les débuts n’ont pas été simples. J’étais une maman et une enseignante méticuleuse, carrée, qui imposait un cadre mais lorsque je me suis retrouvée seule face à ses enfants avec chacun d’eux leurs difficultés spécifiques j’ai perdu pied très vite. Il m’était impossible de leur offrir un cadre de vie respectueux, il m’était impossible de leur imposer des règles, il m’était impossible de gronder, etc… Et il s’est passé la même chose à la maison. Les règles, le cadre, les demandes ont cessé complètement vis-à-vis de mes enfants. La raison en était que j’étais tellement heureuse que Dieu m’ait offert 2 beaux enfants en pleine forme que je ne pouvais plus rien exiger d’autre. Je devais juste remercier le ciel et les laisser faire. Et à l’école j’étais tellement triste pour eux que je ne pouvais et ne voulais pas encore ajouter des règles. Et bien sûr l’anarchie s’est installée des 2 côtés, ce qui n’a fait qu’aggraver la situation. Parce qu’en fait ce que je faisais à l’époque c’était d’avoir pitié d’eux. Ce n’est pas ce qu’ils veulent. Et ils n’ont pas besoin de ma pitié, ni de la vôtre. Ils avaient juste besoin d’un cadre, ils avaient besoin de règles mais surtout ils avaient besoin d’être traité comme les autres. Et tout ceci dans le but de les sécuriser. Ils ont besoin d’être mit face à leurs limites, de se frotter à leurs propres limites, d’être mit face à une frustration qui est difficile. Pourtant la frustration à un vrai rôle structurant pour la vie future, cela permet de l’aider à grandir, l’aider à s’adapter à la vie sociale, à la vie en communauté. Ce sont des enfants qui depuis la toute petite enfance ont vécu des choses que nous n’envisageons même pas, alors ce dont ils ont envie c’est de se sentir en sécurité là où ils sont et avec qui ils sont. C’est un des points essentiels de notre métier.
Je terminerai en vous demandant ceci : s’il vous plait lorsque vous rencontrerez dans un restaurant, dans un magasin, ou n’importe où un enfant, un adolescent ou un adulte porteur d’un handicap faites lui un sourire, ne le dévisagez pas en pensant « oh mon Dieu ». Vous allez alors voir dans ses yeux ce que ce simple sourire lui apporte, cette lumière au fond de lui. Et si vous avez la chance qu’il vous rende ce sourire, vous allez ressentir une telle chaleur humaine en vous qui vous fera vraiment du bien. Croyez-moi. Parce que comme l’a dit un célèbre acteur avec son film : ils ont vraiment « un p’tit truc en plus » Merci.
10 février : Témoin d’espérance pour les enfants en manque de repères
Ce soir, nous venons prier Notre-Dame de Lourdes en pèlerins d’Espérance.
Le besoin de repères, le manque d’Espérance parfois, je le vois aussi dans un
domaine qui me tient à cœur, celui de l’enfance et de ses apprentissages.
Et dans ce contexte, je vais vous expliquer en quelques mots le projet « d’écolage » …
Je suis Angélique de Dorlodot. Je suis à l’origine professeur de latin et de grec. Après la naissance de nos enfants et notre déménagement de Bruxelles vers le Sud, j’ai arrêté d’enseigner pour me consacrer à la famille. Quand tous les rejetons ont quitté le nid, j’ai ressenti un grand vide. S’en est suivi une réflexion sur le sens.
L’enseignement m’a toujours fait de l’œil. J’ai d’ailleurs une admiration sans borne pour les professeurs qui se dépensent sans compter et portent parfois à bout de bras leurs nombreux petits élèves. Pour me rendre utile, je me suis donc engagée à école des devoirs du CPAS (atelier organisé à l’époque par Ariane Lurkin), et à l’école à l’hôpital et à domicile (Marie France Philippe)
Ces deux activités ont attiré mon attention sur le décrochage scolaire et le fait qu’il survenait de plus en plus tôt…
Un grand nombre d’enfants dès l’école primaire décrochent et ne sont plus capables poursuivre une scolarité classique. Or, Ce dérapage peut souvent être évité simplement par un accompagnement personnalisé, bienveillant et régulier de l’enfant. Plus on agit tôt et plus il est facile de remettre l’enfant en selle.
D’autre part, j’étais aussi interpellée par le fait que beaucoup de personnes pensionnées avaient tant de choses à transmettre, beaucoup d’expertise à partager, du temps à revendre et pas toujours de lieu où le faire.
Je me suis donc lancée dans l’organisation d’une école de devoirs destinée à des enfants de primaire et encadrée par des bénévoles avec un regard de grand-parent. Cet atelier que j’ai appelé d’écolage – avec une horrible faute d’orthographe – a débuté à l’école du Centre en avril 2019, il y a donc juste 6 ans. Les enfants que nous avons commencé à suivre en première année sont maintenant en sixième !
Je ne choisis pas les enfants ; ce sont les instituteurs-trices qui les envoient avec comme seul critère que ceux-ci n’aient pas d’aide à la maison. Soit les parents travaillent, soit ils ne parlent pas français, soit ils ne sont tout simplement pas alphabétisés. Il y a deux ans, nous avons suivi V., une petite de première année, pour la seule et unique raison qu’en parallèle elle apprenait à lire à sa maman.
Chaque année depuis 2019 nous suivons une petite vingtaine d’enfants, y compris pendant le covid ; Il n’y a presque jamais d’absent.
Quant aux bénévoles de d’écolage, ce sont aussi bien des hommes que des femmes, et ils viennent de plusieurs métiers (j’ai eu des banquiers, des professeurs, des mères au foyer, des informaticiens, des infirmières, …) et ne doivent pas avoir de compétences particulières.
Un bénévole qui a commencé avec moi au tout début est banquier et ne s’était jamais occupé des travaux scolaires de ses propres enfants. Il s’émerveille encore toujours de la curiosité et de la spontanéité des jeunes que nous suivons.
Certains bénévoles s’engagent de façon régulière, une fois par semaine pendant deux heures et d’autres viennent de façon plus ponctuelle pour remplacer ou renforcer une équipe. Je suis moi-même toujours présente.
L’école du centre est très heureuse de cette collaboration. Elle se coupe en quatre pour faciliter notre passage, nous gâte à l’occasion de la St Nicolas, met à notre disposition la cour de récréation, des classes, du matériel, une assurance et la possibilité de confier l’enfant à l’accueil extra-scolaire après l’atelier.
En pratique, nous accueillons les enfants à 15h30 avec un grand goûter (on n’attire pas les mouches avec du vinaigre).
C’est Madame Wickler du Pall Center qui, sensible au projet, nous offre depuis des années tous les fruits et les jus. Nous complétons cette collation par des biscuits. Nous avons d’ailleurs parmi les bénévoles une mamy /chouquettes qui en apporte chaque semaine ! Ce moment de retrouvailles et de décompression après la journée est très convivial. Les enfants parlent, se défoulent avec un ballon… Mardi dernier, je suis arrivée avec un paquet de cigarettes russes et ai offert une cloppe aux enfants hilares ! Nous montons ensuite dans les classes et chaque bénévole prend en charge quelques enfants. L’expérience me pousse si possible à confier deux enfants maximum à un adulte.
Certains s’occupent toujours des mêmes enfants avec qui un lien s’est tissé à la longue. Le lien est tel que l’année dernière une des bénévoles est venue aider un petit garçon, M., de façon régulière pendant les vacances. Ce petit bonhomme a commencé l’année sur les chapeaux de roue et l’institutrice est venue nous dire combien il avait envie de bien faire.
La supervision des devoirs se fait en fonction des demandes et des besoins. Plusieurs enfants ont besoin d’explications de mots en français : on dessine, on regarde sur internet, on épèle, on lit et on fait lire, on utilise des billes pour calculer, on joue ; bref, plus on est créatif et mieux les enfants retiennent et comprennent. En sixième, ils nous présentent leurs élocutions en avant-première…L’un de nos objectifs est bien sûr que les enfants acquièrent toutes les compétences nécessaires pour réussir leur CEB et passer en secondaire.
Et en plus de ces connaissances, nous tapons régulièrement sur le clou des mots magiques, ce qui fait que nos petits protégés deviennent de vrais gentlemen en société !
Avec le temps, nous avons développé une vraie synergie avec la directrice, les instituteurs-trices et les parents. Il n’est pas rare qu’on vienne nous trouver pour parler des enfants et de leurs besoins. Nous sommes parfois bien placés pour repérer un souci chez un enfant ; par exemple, une bénévole avait repéré qu’un enfant voyait mal. L’information a été relayée à l’institutrice et l’enfant a été équipé de lunettes. Quand on travaille avec peu d’enfants on peut plus facilement repérer un souci de ce type qu’un enseignant qui a devant lui une classe de 25 élèves. Nous tentons aussi de rester à la page ; à la suite d’un petit laïus que j’ai fait au Lions d’Arlon, tous nos bénévoles ont été invités à des formations extrêmement utiles destinées aux futurs instituteurs sur tous les troubles d’apprentissage.
Les bénévoles semblent trouver l’expérience très gratifiante car elle crée du lien. Régulièrement, ils se retrouvent entre eux pour échanger leurs expériences, des petits trucs et astuces ou des remarques. Il n’est pas rare qu’on reste après l’atelier pour débriefer et rire entre nous. La petite communauté que nous finissons par former a été particulièrement appréciable et appréciée durant le covid.
D’écolage n’est certes pas la panacée, mais ces ateliers font souvent la différence. Des enfants en difficulté remontent la pente et retrouvent enthousiasme et confiance en eux alors qu’ils se sentaient submergés.
Cette année, par exemple, en allant rencontrer la directrice en début d’année, je vois à la petite table devant son bureau R. qui s’escrimait sur une feuille d’exercices. Il était au bord des larmes. En m’asseyant à ses côtés, j’ai tout de suite réalisé que son niveau de lecture était si faible qu’il se sentait incapable de faire ce type de devoirs. Depuis le début de l’année, il n’avait d’ailleurs jamais fait ses devoirs de français. Il vient maintenant tous les mardis aux ateliers et j’ai le bonheur de constater que les devoirs ne lui font plus peur et qu’il a lu son premier livre…
Il y a parfois de petits miracles. Je pense à un petit portugais, G, qui était d’un comportement difficile ; il avait des relations très tendues avec son professeur et bâclait son travail scolaire. Or, l’enfant qui venait à l’école des devoirs avait des réelles aptitudes et était vraiment brillant. Un jour, je le croise avec sa maman dans un couloir et je dis combien l’enfant est curieux de tout, brillant et a une belle culture générale. Physiquement, le jeune s’est redressé et quelque chose s’est allumé dans le regard de la maman.
Bref, on peut vraiment dire que le projet fonctionne, que plus d’enfants réussissent et que la direction, les professeurs et les parents se sentent bien secondés par notre présence dans l’école.
Mon rêve serait d’étendre cette expérience d’école de devoirs à plus d’enfants et à une autre école d’Arlon. C’est la prochaine étape si je trouve plus de bénévoles.
Je suis très heureuse de vous avoir partagé mon enthousiasme pour d’écolage et je vous remercie infiniment de votre écoute attentive.
Angélique de Dorlodot

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