En ce dimanche 26 janvier 2025, la communauté réunie en l’église jubilaire Saint-Martin d’Arlon entre dans un temps de grâce : l’Année Sainte de l’Espérance. Trois événements se conjuguent en ce jour : l’ouverture de cette année jubilaire, le dimanche de la Parole de Dieu, et l’envoi en mission de l’équipe pastorale de l’Unité Notre-Dame d’Arlon.
Dans son homélie, le chanoine Joël Rochette nous invite à méditer sur un mot simple et pourtant essentiel : « aujourd’hui ». Un mot qui peut enfermer dans le court terme ou s’étirer à l’infini, mais qui, dans la bouche de Dieu, devient une promesse vivante et agissante.
À travers les « aujourd’hui » de l’Évangile selon saint Luc, il nous montre comment Dieu se donne dans l’instant présent : à Noël, chez Zachée, sur la croix avec le bon larron… et en ce jour où nous accueillons son appel. Son homélie nous interpelle : comment vivons-nous l’aujourd’hui de Dieu ? Sommes-nous prêts à le laisser éclairer notre quotidien et à faire de cette année sainte un temps de renouveau ?
Écoutons ensemble cette parole qui résonne pour nous, aujourd’hui.

Lc 4,1-4.14-21 Arlon, 26 janvier 2025
« Cette parole de l’Écriture, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ».
Tout tient dans ce petit mot : aujourd’hui.
On l’utilise tous les jours, ce petit mot, et pourtant, il me semble assez dangereux. Deux risques nous guettent quand on l’utilise.
Le premier risque est de situer ce mot « aujourd’hui » strictement dans des limites, celles du début et de la fin d’une journée précise, de 0 à 24 heures. Reconnaissons-le : nous ne voyons parfois pas plus loin que le bout de notre… journée, que le bout des quelques événements qui vont la constituer ou la bouleverser. Tous les matins, je regarde mon agenda du jour – d’autres consultent leur horoscope du jour, ou les nécrologies du jour, et je passe les réseaux sociaux du jour. Nous nous confinons facilement dans ces 24 heures, dans la clôture d’un horizon restreint ; nous oublions bien vite ce qui s’est passé hier et nous ne pensons pas encore à demain. Les médias nous y enferment d’ailleurs très volontiers : le scoop d’aujourd’hui sera vite oublié, le buzz intéressera aujourd’hui et se dégonflera demain. Et nous, chrétiens, quand nous disons que Dieu est avec nous aujourd’hui, nous le comprimons dans les va-et-vient de notre quotidien, nous l’enserrons dans les contorsions d’une aventure chronométrée.
J’exagère peut-être un peu, je le reconnais… ou pas ?
Le deuxième risque, avec ce mot “aujourd’hui”, c’est, au contraire, de l’étendre au maximum, en généralisant sa réalité. Je me rappelle ce que ma grand-mère disait souvent. Elle vivait avec nous, mes deux frères et mes parents, dans la ferme familiale ; et quand elle était agacée par nous, ses petits-enfants, elle disait : “Ah, lès djon.nes d’audjoûrd’û !”. En wallon de Beauraing, le même que connaît votre doyen, cela veut dire : “Ah les jeunes d’aujourd’hui !”. Et cet aujourd’hui-là est on ne peut plus général : notre époque, la modernité, les temps où nous sommes, car… c’était mieux avant. Ma grand-mère ajoutait parfois : “On vèt bîn qui vos n’avoz nin connu l’guére !” (On voit bien que vous n’avez pas connu la guerre !). On rapporte que, au 4ème siècle avant Jésus-Christ, le grand philosophe grec Platon se plaignait déjà des jeunes, dont le niveau intellectuel et le courage avaient bien baissé ; Socrate lui aurait dit : “Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, méprisent l’autorité et bavardent au lieu de travailler ». Voilà un aujourd’hui qui déborde les siècles !
Notons ces deux risques, bien réels, quand on emploie le mot « aujourd’hui », mais mettons-les de côté. Et plaçons le mot, maintenant, dans la bouche de Dieu.
Quand Dieu dit « aujourd’hui », il conclut une alliance aujourd’hui ; et son aujourd’hui vient donner du sens au nôtre. Les prophètes l’illustrent abondamment : leurs oracles traversent les jours, les éclairent chaque matin d’une lumière particulière, pour culminer enfin, un certain jour, en un jaillissement unique. C’est alors le jour du Fils de l’Homme, formé comme en filigrane de chacun des jours de tous les fils des hommes. Néhémie et Esdras, dans la première lecture d’aujourd’hui, répètent cette conviction : « Ce jour est consacré au Seigneur ». Et, dans l’évangile, Jésus ouvre le livre des prophéties et dit : « Cette parole de l’Écriture, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ».
Les personnes présentes dans la synagogue de Nazareth ce jour-là louaient et chantaient Dieu pour ses merveilles ; elles ont apprécié Jésus et sa lecture bien faite. Mais, quand il a roulé le livre et relevé la tête, elles n’ont pas perçu Dieu qui révèlait son visage.
Vous savez peut-être que d’autres aujourd’hui résonnent dans l’évangile de Luc ; ils sont de discrets échos de cette même révélation de Dieu. Ainsi, trois autres fois, le mot résonne encore en saint Luc. Allez-vous reconnaître ces trois passages ? Petit quizz :
- Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur (Lc 2,11 : c’est ce que l’ange dit aux bergers de Bethléem ; vous savez : les anges dans nos campagnes, le soir de Noël) ;
- Aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer dans ta maison (Lc 19,5 : c’est ce que Jésus dit à Zachée, grimpé dans son arbre, un sycomore, car il était trop petit pour bien voir) ;
- Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis (Lc 23,43 : c’est ce que Jésus dit à l’homme crucifié à côté de lui, qu’on appelle parfois le bon larron).
Ils sont magnifiques, ces 4 « aujourd’hui » de l’évangile de Luc, vous ne trouvez pas ? Aujourd’hui, c’est l’espace et l’occasion où Dieu vient agir dans ma vie.
Aujourd’hui, si je le veux, si je m’ouvre à lui, va naître un Sauveur dans mon existence.
Aujourd’hui, si je le veux, si je m’ouvre à lui, Jésus va parler et sa parole va résonner en moi, et accomplir des merveilles.
Aujourd’hui, si je le veux, si je m’ouvre à lui, Dieu va venir habiter dans ma maison, au plus intime de ma vie, si j’accepte de descendre un peu de mon arbre perché.
Aujourd’hui, si je le veux, si je m’ouvre à lui, Jésus va me conduire vers le paradis, au travers de mes souffrances, de mes péchés, de mes crucifixions…
Aujourd’hui, frères et sœurs, Jésus ouvre le livre de nos vies ; et il s’y révèle… comme son sens.
Le grand Voltaire, le philosophe français du 18ème siècle, a connu le tremblement de terre qui a détruit la ville de Lisbonne, au Portugal, en 1755 ; il en a écrit un poème puissant, avec notamment cette phrase célèbre : « Un jour tout sera bien, voilà notre espérance ; tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion ».
Voltaire parle bien, mais il se trompe. Dieu transforme ce vers poétique désabusé : notre espérance n’est pas située dans un jour éloigné où tout pourra, enfin, être bien… ; elle n’est pas non plus l’illusion de croire que notre quotidien suffit déjà…
L’aujourd’hui de Dieu, notre espérance, est une tension, une présence agissante, une trajectoire lumineuse dans nos existences. Aujourd’hui est une trajectoire.
Dieu est amour de toujours à toujours, de tous les jours et de chacun des jours ; il est une grâce surabondante : là où le péché des jours a abondé, la grâce de l’aujourd’hui de Dieu surabonde.
Ce dimanche 26 janvier, 3 occasions nous rassemblent en cette église et convergent vers cet aujourd’hui :
- aujourd’hui s’ouvre l’année du jubilé, le Jubilé de l’espérance, qui nous tire en avant ;
- aujourd’hui est célébré le dimanche de la Parole de Dieu, qui nourrit notre vie ;
- aujourd’hui est envoyée en mission l’équipe pastorale de l’Unité Notre-Dame d’Arlon, pour servir et faire grandir.
Wawwww, et je mets 3 W à ce wawww admiratif ; on ne pouvait pas faire mieux.
Profitons de cet aujourd’hui, frères et sœurs, un aujourd’hui qui n’est ni racrapoté sur nos 24 petites heures quotidiennes, ni élargi à l’infini tellement vague des appréciations philosophiques. Vivons cet aujourd’hui.
Je conclus avec cet autre vers, d’une poétesse française du 19ème siècle, Rosemonde Gérard : « Chaque jour je t’aime davantage, aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain ».
Et si c’était ce que Dieu dit au creux de notre foi ? Et ce que nous voudrions lui répondre ? Et ce que nous voudrions partager à nos frères et sœurs ? Et ce que nous aimerions les entendre nous dire aussi…
A la manière d’un psaume d’aujourd’hui, nourrissons-en notre prière, faisons-en notre trajectoire. Murmurons-le nous-mêmes à Dieu, disons-le lui au creux du cœur : Je t’aime, Seigneur, aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain. Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain.
Chanoine Joël Rochette
