Neuvaine de prière à Notre Dame 2023 – Saint-Martin – Arlon
Allez dire aux prêtres de bâtir une chapelle.
Bâtir, le monde de l’entreprise. Merci à Monsieur le Doyen de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce sujet qui me passionne.
Le dimanche, lors de l’envoi, nous sommes envoyés en mission. Au-delà de la vie paroissiale, de la vie familiale, etc… Il est une dimension de vos vies où l’investissement en vaut la peine : le monde de l’entreprise. C’est un terrain de jeu comme un autre.
Préparer cette intervention m’a permis de poser mes idées. Je vais donc couvrir ce sujet au travers 4 axes majeurs m’amenant à 4 conseils :
- Performance et aspects humains, un équilibre complexe ;
- Rupture technologiques et chaine de valeur ;
- Responsabilité Sociale de l’Entreprise ;
- Temporalité de l’entreprise : Avenir et court terme
Premier axe de réflexion – Performance et aspects humains, un équilibre complexe :
J’ai commencé ma carrière professionnelle en 1998. C’était le siècle dernier mais ce n’est pas si loin.
- L’entreprise nous permet de côtoyer toutes les philosophies et religions. C’est forcément enrichissant. L’entreprise ce n’est pas non plus un lieu de prosélytisme.
- L’entreprise peut aussi être perçu comme un lieu sans règle, voire violent, dont l’unique objectif est de faire du fric. Ce n’est pas ma grille de lecture. L’entreprise est aussi un lieu d’épanouissement personnel et collectif.
- L’entreprise est un lieu de performance (pas uniquement financière) et d’innovation. Le cœur du moteur est la création de valeur.
Je me demande régulièrement si un accord est-possible entre entreprise, management et christianisme. Cet accord semble ardu tant les dynamiques économiques peuvent paraitre antinomiques avec les valeurs chrétiennes.
La performance doit prendre en compte les aspects humains. Ainsi, concilier performance d’entreprise et respect de l’humain devient un exercice d’équilibriste complexe. Vraiment complexe.
L’univers concurrentiel dans lequel nous évoluons rappelle l’exigence de performance pour assurer la pérennité et le développement de toute entreprise.
Un des objectifs de l’entreprise est de créer de la valeur pour que le trépied, formé par les salariés, les clients et les actionnaires soit stable. Il faut jongler en permanence pour que ces 3 pieds soient de la même longueur. Sinon, c’est bancal. Et si cela reste bancal trop longtemps, l’entreprise meurt. Il faut donc savoir parfois prendre des décisions compliquées.
Je pense qu’on peut, malgré tout, y arriver avec de la bienveillance, de l’entraide, de l’écoute, du respect, de la justice, le souci des plus faibles, un esprit collectif. Valeurs universelles que véhicule le christianisme.
Conclusion : Chrétiens, soyons nous-même aussi en entreprise mais ne confondons pas vertus chrétiennes et laissez aller !
Deuxième axe de réflexion – Rupture technologiques et chaine de valeur :
Reconnaissez-vous cet objet ?
C’est un objet d’une marque disparue. C’est un Nokia 3310. Il servait à téléphoner. Et recevoir des messages courts de quelques caractères. Cet objet à presque 25 ans. Seulement 25 ans.
Que s’est-il passé ? L’entreprise Nokia a loupé une marche. Elle n’a pas vu venir une rupture dans la chaine de création de valeur. Elle a coulissé vers un nouvel écosystème, vers le logiciel. Elle a disparue et ses salariés ont dû trouver une autre activité. Il en va de même pour Kodak qui n’a pas vu venir les appareils photos numériques. Nous pourrions continuer la liste.
En 1998, jeune cadre dans une firme technologique américaine chez qui j’ai passé plus de 15 ans, nous avions une dame qui passait nous distribuer le café, une équipe à l’accueil, des secrétaires, des personnes en charge de prendre les commandes, un service technique local, etc… Nous écrivions des courriers (en papier). La majorité de ces jobs ont disparus ! Il a fallu constamment réinventer l’entreprise pour qu’elle ne meurt pas.
Nous sommes maintenant en 2023, 25 ans plus tard, reconnaissez-vous cet objet. C’est un smart phone moderne.
Avec çà, j’ai en main, mon e-mail, une télévision, un appareil photo, une caméra, un album photo souvenir, un accès infini à la musique du monde, une agence de voyages, mes billets de trains et d’avions, une agence bancaire, une lampe torche, une calculatrice, le pilotage des volets, des caméras, de la lumière et de l’alarme de la maison, une boussole, un GPS, un outil de traduction de toutes les langues de notre planète, mes cartes de fidélité, le plus grand magasin en ligne, etc… C’est quand même ahurissant !!!!
Dois-je refuser de l’utiliser parce que cet objet a détruit des milliers d’emplois ?
Nous plaignons nous que les hommes n’aillent plus allumer les becs de gaz chaque soir dans les rues, que les rémouleurs n’existent plus, que les femmes n’aillent plus s’éreinter au lavoir pour nettoyer le linge. Des ruptures technologiques ont transformé ces emplois.
Une nouvelle rupture technologique est là. Je lisais cette semaine qu’une intelligence artificielle avait réussi le concours d’entrée en études de médecine aux USA. On peut en avoir peur. Mais, ce n’est plus de la science-fiction. Des millions d’emplois vont disparaitre. Des millions d’autres vont les remplacer. Mais ce ne seront pas les mêmes. Nous, chrétiens, devons contribuer à l’adaptation des hommes et protéger les moins préparés.
Ainsi, le rôle du manager en entreprise est de prévoir l’avenir pour assurer la pérennité de son entreprise. Il doit comprendre avant les autres où se situera le prochain glissement de la chaine de valeur. En tant que chrétien, nous voyons les implications humaines du phénomène. Comment dois-je préparer mon équipe. Comment dois-je la faire évoluer pour ne pas louper le train. Que faire avec les salariés qui ne veulent ou ne peuvent pas évoluer ? Je vous assure qu’être cadre en entreprise et chrétien peut vous valoir quelques nuits blanches. Car décider, c’est choisir en conscience.
Conclusion : Chrétiens, n’ayons pas peur du progrès. Formons-nous ! Adaptons-nous ! Il y a eu des ruptures technologiques et il y en aura d’autres.
Troisième axe de réflexion – Responsabilité Sociale de l’Entreprise :
Les profits records des compagnies pétrolières font polémique. Le géant TotalEnergies a annoncé mercredi 8 février les plus importants bénéfices de l’histoire d’une entreprise française (20 Milliards). Des résultats dopés par la situation géopolitique, en phase avec ceux de ses homologues européens et américains. Des deux côtés de l’Atlantique, la polémique enfle. Au global les majors pétrolières ont dégagé 200 Milliards de profits en 2022. Somme qui parait démente mais qui doit servir à quelque chose !
Dans ce contexte, espérons que les dirigeants de ces entreprises garderont en tête qu’ils sont aussi regardés sous l’angle de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise. Je pense que les salariés et les clients choisissent aussi leur fournisseurs et employeurs à la lumière de cette responsabilité. Par exemple, ces entreprises contribuent elles à la transition énergétique ?
En tout état de cause, personnellement, je ne pourrais pas travailler pour une entreprise qui ne porte pas des valeurs éthiques élevées.
Conclusion : Chrétiens, choisissons bien vos fournisseurs ! Choisissons bien vos employeurs ! Nous avons de l’impact !
Quatrième axe de réflexion – Temporalité de l’entreprise : Avenir et court terme Ne pas compromettre ou insulter l’avenir sur l’autel du court terme :
Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. C’est le théorème d’Helmut Schmidt, slogan politique du chancelier allemand social-démocrate datant de fin 1974 : Nous étions alors dans un contexte de crise économique avec une dégradation de la rentabilité des entreprises et de hausse du chômage. La RFA a fait le choix de la restauration du profit des entreprises pour faire repartir la machine économique. Ce fut le choix inverse de celui de la France qui était celui de la relance par l’investissement public.
Ce lien de cause à effet entre profit/investissement & emploi est contre intuitif pour un social-démocrate. C’est une logique libérale avec moins d’intervention de l’Etat. Nous voyons bien ici que les profits ne sont pas l’ennemi du chrétien dès lors qu’ils ne sont pas un but mais un moyen. Le profit peut être source de progrès social au service des hommes et de leur dignité.
Ainsi, il serait facile de se laisser aller à compromettre le long terme sur l’autel du court terme. Par exemple, pour être concret, une entreprise faisant des profits une année peut préférer ne pas distribuer de gros bonus à ses salariés pour investir dans leur formation et faire en sorte que, demain, ils disposent des compétences dont les clients auront besoin.
Conclusion : Chrétiens, n’insultons jamais l’avenir. Ne soyons pas dogmatiques. Soyons souples et gardons en tête que l’argent est un bon serviteur mais un bien mauvais maître !
Je vous remercie pour votre patiente et votre écoute.
Frédéric ROBIN
